Emma

Emma

Journaliste

23 Mai 2025 à 07:05

Temps de lecture : 3 minutes
Quand la réforme constitutionnelle haïtienne se joue à l’ombre des gangs

L’Opinion

📅 Date clé : 22 mai 2025 marque la remise de l’avant-projet de Constitution au Conseil présidentiel de transition.
🤝 Processus participatif : jusqu’au 25 juin 2025, les citoyens haïtiens peuvent soumettre leurs propositions pour enrichir le texte.
🗳️ Référendum prévu : un vote constitutionnel est annoncé pour l’été 2025 par le ministre de la Justice Patrick Pélissier, sans date finale arrêtée.
🔒 Défis sécuritaires : les zones à haute tension à Port-au-Prince et dans le Grand Sud menacent la tenue d’un scrutin libre et transparent.
🌐 Suivi international : bailleurs de fonds, ONG et institutions régionales observent ce processus comme un baromètre de la stabilité haïtienne.


Genèse du projet constitutionnel

L’histoire d’Haïti est écrite dans le sang et la sueur depuis la révolution de 1804, mais c’est un nouveau chapitre qui s’ouvre avec la remise de l’avant-projet au Conseil présidentiel de transition le 22 mai 2025. Avec ses 11 millions d’habitants et son patrimoine révolutionnaire forgé par Toussaint Louverture, la nation affronte aujourd’hui un défi inédit : aligner ses institutions sur les exigences d’un XXIᵉ siècle où l’économie informelle représente près de 60 % du PIB, selon des études récentes. Ce projet, longuement débattu en coulisses, tire ses racines d’une volonté affichée—parfois timide, parfois vacillante—d’en finir avec l’instabilité chronique et les promesses sociales jamais tenues. Une cohorte d’experts universitaires locaux ou étrangers, mêlant politologues et sociologues, a contribué à forger ce document, tandis que des comités populaires, inspirés des assemblées pay-tay de jadis, ont pris le relais sur le terrain pour récolter avis et doléances.

Enjeux et défis sécuritaires

Le premier obstacle tient dans la menace permanente des gangs armés, lesquels contrôlent plus de la moitié de la capitale et verrouillent l’approvisionnement de quartiers entiers. Des chiffres concordants font état de 87 incidents violents pour 100 000 habitants au cours des trois derniers mois, rendant toute logistique électorale hasardeuse. Cette réalité rappelle l’atmosphère tendue décrite dans le film “La Saison des hommes” ou la peinture expressionniste de Frankétienne, où le chaos social déborde les cadres officiels. Critiquer l’incurie des autorités sans risquer l’instrumentalisation internationale relève du parcours du combattant : l’ONU et l’OEA multiplient les appels à la vigilance, mais peu d’actions concrètes émergent pour désarmer les milices qui prospèrent à l’ombre d’un État affaibli. L’absence d’un mécanisme de sécurité robuste fait planer l’ombre d’un vote tronqué, trahissant la lettre même d’une constitution censée fonder l’égalité citoyenne.

Le peuple au cœur du débat

Donner la parole aux citoyens jusqu’au 25 juin 2025 représente un tournant démocratique salué par nombre d’observateurs, et critiqué par d’autres comme un leurre participatif. La méthode, calquée sur des référendums d’Islande ou d’Italie, prévoit des forums de discussion dans chaque département, appuyés par des plateformes en ligne — un exploit quand moins de 25 % de la population possède un accès internet régulier. Une anecdote circule dans les rues de Port-au-Prince : un petit carnet griffonné lors d’une marche pour la paix servira de témoignage brut à l’une des commissions locales, prouvant que la volonté populaire peut parfois échapper à toute formalisation bureaucratique. Pourtant, le risque demeure que seules les voix les mieux organisées ou financées se fassent entendre, creusant davantage la fracture entre élites urbaines et paysans de la Plaine du Nord.

Perspectives et réactions internationales

Cette réforme constitutionnelle n’est pas qu’une affaire interne : les États-Unis, la France et le Canada, réunis au sein de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), suivent le processus à la loupe. L’intérêt est double : d’une part, garantir la sécurité régionale face aux flux migratoires et aux trafics illicites, d’autre part, protéger les investissements déjà engagés dans les secteurs minier et énergétique. Des experts de Washington estiment que le succès de cette réforme pourrait débloquer jusqu’à 500 millions de dollars d’aide bilatérale, un ballon d’oxygène pour un pays dont 70 % des recettes publiques proviennent de donateurs étrangers. Toutefois, la dépendance à l’égard de l’aide internationale expose Haïti au risque d’ingérence et de conditionnalités lourdes, comme celles déjà imposées lors des précédents plans d’ajustement structurel de la Banque mondiale et du FMI.

L’ouverture d’un débat national sur la Constitution revêt une dimension symbolique majeure : elle replace la souveraineté populaire au centre de la scène tout en révélant les failles d’un État à la fois trop absent et trop présent dans la vie quotidienne. Sans un engagement massif et une vigilance citoyenne constante, cette réforme risque de devenir un mirage, et la vision d’une République haïtienne forte, digne héritière de la première nation noire libre, pourrait rester une simple page blanche sur laquelle personne n’ose vraiment écrire.