Des mesures “révolutionnaires” ou poudre aux yeux ?
Capucine Tuffier, responsable de la protection de l’enfance chez Meta France, a fièrement déclaré que « nous sommes la seule plateforme à aller aussi loin dans les restrictions que nous imposons aux adolescents ». Une déclaration audacieuse. L’idée de « comptes adolescents » réservés aux 13-15 ans, lancés aux États-Unis, au Royaume-Uni, et bientôt en France, est effectivement prometteuse. Ces comptes offriront un mode privé par défaut, une limitation d’accès aux contenus potentiellement offensants, et des notifications coupées entre 22h et 7h. On pourrait applaudir ce mouvement, enfin un géant du net qui semble se soucier des jeunes.
Mais il faut regarder au-delà du vernis. Si ces mesures semblent protéger les adolescents, elles reposent toujours sur un élément fragile : l’honnêteté des utilisateurs quant à leur âge. Meta assure que ceux qui modifient leur âge devront le prouver avec une carte d’identité et une vidéo. Mais combien de jeunes tricheront dès l’inscription ? De plus, malgré l’intelligence artificielle censée traquer les comptes de moins de 13 ans, est-il vraiment possible de contrôler des millions de profils dans le monde entier ?
Parents, les nouveaux Big Brothers ?
L’une des fonctionnalités phare de ces nouveaux comptes est la surveillance parentale accrue. Les parents pourront suivre les conversations de leurs enfants, bloquer leur accès à Instagram, ou encore limiter leur temps passé en ligne. Une bonne initiative, en surface, mais est-ce vraiment la meilleure solution pour instaurer un climat de confiance avec les ados ?
Dans une société où la protection de la vie privée est au cœur des débats, cette surveillance parentale pourrait bien avoir l’effet inverse de celui escompté. Au lieu de protéger les enfants, ne risque-t-on pas de les pousser à dissimuler encore plus leurs activités en ligne ? Il ne faut pas oublier que l’adolescence est l’âge de la rébellion et de la quête d’indépendance. Forcer la surveillance pourrait bien accroître la défiance entre parents et enfants, tout en renforçant une culture du secret. N’oublions pas qu’aujourd’hui, un ado pourra toujours créer un second compte, beaucoup plus discret.
Instagram : la “toxique” toxine ?
Instagram a souvent été accusé d’être « toxique » pour les adolescents, en particulier pour les jeunes filles. Et pour cause : les standards de beauté irréalistes, les filtres et la comparaison incessante ont généré des vagues d’insécurité et de troubles de l’image de soi chez les jeunes utilisateurs. Meta, comme à son habitude, se défend en brandissant ses nouvelles mesures restrictives. Mais cette action semble arriver bien tard.
Depuis des années, des études pointent du doigt les dangers des réseaux sociaux, mais les plateformes n’agissent que lorsqu’elles sont sous pression publique. N’oublions pas que ce sont des entreprises dont le modèle économique repose sur l’engagement, et donc sur l’addiction de ses utilisateurs. Meta n’est pas un sauveur, mais bien un acteur majeur de cette « toxicité » qu’il prétend maintenant combattre.
Un pas en avant, deux en arrière
En somme, ces mesures sont peut-être un petit pas vers une meilleure régulation des réseaux sociaux pour les adolescents, mais elles n’adressent pas le problème à la racine. Le cœur du problème réside dans la structure même de ces plateformes, qui cultivent des habitudes d’utilisation addictive. Limiter les notifications la nuit ou bloquer un compte sur demande des parents ne règle pas la dépendance aux likes, à la validation sociale, et à la comparaison omniprésente.
Cette initiative est louable sur le papier, mais dans la pratique, elle manque de profondeur. Les adolescents d’aujourd’hui sont nés avec un smartphone dans la main, et il en faudra beaucoup plus pour réellement les protéger.