Emma

Emma

Journaliste

9 Mai 2025 à 09:05

Temps de lecture : 3 minutes
Sch rencontre Pagnol : la nouvelle mythologie marseillaise

L’Opinion

🎤 SCH : rappeur marseillais signe la chanson-titre du biopic animé

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Cannes, théâtre des improbables alliances

Le Festival de Cannes aime les mariages inattendus ; mais réunir l’auteur de La Gloire de mon père et le prince de la trap phocéenne relève du choc tectonique. Sur l’écran, l’animation de Sylvain Chomet — déjà architecte des Triplettes de Belleville — déroulera la vie de Marcel Pagnol, tandis qu’en coulisses, SCH distillera un refrain où beats syncopés s’emmêlent aux cigales. Voilà qu’un demi‑siècle après sa disparition, l’écrivain retrouve la mer Méditerranée en Dolby Atmos. L’alliance rappelle ces rencontres magnétiques entre Gainsbourg et le reggae à Kingston : au départ, un saut dans l’inconnu ; à l’arrivée, un classique qui redessine la carte culturelle.

De la garrigue à la trap: un dialogue intergénérationnel

Imagine des collines écrasées de soleil où retentissent, non plus les répliques de Raimu, mais les basses lourdes d’une MPC. SCH — produit de la génération Bande organisée — a grandi en visionnant Manon des Sources avec sa mère ; l’anecdote circule comme un gri‑gri dans les studios marseillais. En acceptant la bande‑son, le rappeur joue la passe décisive : faire dialoguer le langage des quartiers Nord avec celui de la Provence d’avant‑guerre. Certains grincheux crieront au blasphème ; pourtant, l’art ne progresse qu’en cassant le verre de la vitrine. Exactement comme quand Baz Luhrmann propulsait du hip‑hop dans la Vérone de Shakespeare, l’opération risque bien de rafraîchir un patrimoine parfois figé sous la poussière des manuels scolaires.

L’héritage pagnolesque revisité à la 808

Marcel Pagnol fut aussi pionnier que SCH : premier académicien du septième art, inventeur d’une “école marseillaise” où la parole domine le décor, il présida le jury cannois en 1955 et vit naître la Palme d’or. Quoi de plus logique, donc, que d’en confier aujourd’hui l’hymne à un rappeur dont l’écriture tranche comme un couteau à panisse ? La Provence perd son patois, mais garde sa gouaille ; les punchlines remplacent les maximes d’Honoré Panisse, et le Vieux‑Port résonne d’échos trap. Au moment où le cinéma français cherche son public sur TikTok, cette fusion incarne un antidote à l’aseptisation : du sang, du bitume, et la promesse d’une esthétique où l’animation délaisse la bluette pour épouser le bit.

Pourquoi cette collaboration va plus loin qu’un coup de promo

Réduire la venue de SCH à un gadget marketing serait passer à côté du séisme culturel. En alignant rap, animation de prestige et mémoire littéraire, Cannes prouve qu’il reste un laboratoire — pas seulement un photocall pour robes Haute Couture. Le public jeune, qui scrolle plus vite que son ombre, risque d’être happé par cette hybridation iconoclaste ; les boomers cinéphiles, eux, découvriront peut‑être que le rap peut porter la poésie. Il serait temps d’abandonner la fausse dichotomie entre “culture noble” et “pop culture” : la Croisette offre, cette année, une passerelle qui n’a pas fini d’enflammer les stories et, soyons francs, d’agacer quelques académiciens compassés. Tant mieux : la création respire mieux quand les statues tremblent.

La Croisette n’a pas fini de vibrer : entre les flashs des photographes et les riffs électroniques, Marseille vient réclamer sa part de légende. Qu’on l’appelle provocation, hommage ou Renaissance phocéenne, cette rencontre signe une ère nouvelle où le rap n’est plus l’invité mais le narrateur — et où Pagnol, loin d’être momifié, reprend vie sur de nouveaux BPM. Impossible de rester neutre : il ne reste qu’à tendre l’oreille, laisser la basse gonfler la poitrine et remercier le mistral d’avoir, une fois encore, tourné la page de la vieille France pour y glisser un sample étincelant.