Un manifeste scénique inattendu
Ce 28 avril 2025, aux Folies Bergères, la cérémonie des Molières s’est métamorphosée en acte militant. Caroline Vigneaux, habituée à décoiffer les habitudes, a débarqué en robe blanche, bonnet phrygien vissé sur le crâne et sein dévoilé, clin d’œil incendiaire à Delacroix. L’image, plus forte qu’un tract de mai 68, a rappelé que l’art reste une zone de non-droit pour les conservateurs. Face à ce spectacle télévisé sur France 2, la jeunesse connectée a goûté à un cocktail d’histoire picturale et d’irrévérence assumée, comme si Banksy filmait une pièce de Beckett.
Une remise de prix explosive
Sans perdre de son souffle, la soirée a enchaîné sur des trophées mémorables : Le Soulier de satin d’Éric Ruf et Du charbon dans les veines de Jean-Philippe Daguerre ont trusté cinq Molières chacun. Les mises en scène ambitieuses et les performances de Marina Hands ou Raphaëlle Cambray ont rappelé que le théâtre public et privé sont deux poumons complémentaires du spectacle vivant. Anecdote piquante : la Comédie-Française, temple immuable, voit ses couloirs bourdonnants d’une effervescence insoupçonnée, comme si Claudel lui-même soufflait sur les planches des Folies Bergères.
Tableau de la résistance culturelle
Au-delà des statuettes, c’est la charge politique qui a marqué les esprits : l’appel à « résister » face aux 49.3 et aux coupes budgétaires a résonné comme un solo de trompette dans un opéra en sourdine. Rachida Dati, invitée d’honneur, a été interpellée sur son rôle de gardienne de la Culture ; la ministre, d’abord figée, s’est finalement déridée sous les vivats. La CGT spectacle, debout dans la salle, a rappelé que la culture traverse une zone rouge, un paradoxe quand elle constitue pourtant le cœur battant d’une démocratie.
Portraits des lauréats marquants
Le Molière d’honneur décerné à Thomas Jolly a constitué un moment de grâce : celui qui a orchestré l’ouverture des Jeux olympiques Paris 2024 a dédié son trophée au « faire société ». Dans la foulée, Les Misérables ont raflé le Molière du spectacle musical, tandis que Pauline & carton emportait le prix du seul en scène, prouvant que l’histoire tragi-burlesque des années 1930 peut encore résonner aujourd’hui. Paul Mirabel, quant à lui, a conquis le Molière de l’humour avec un stand-up aussi tranchant qu’une réplique de Tarantino.
La 36ᵉ Nuit des Molières a ainsi rassemblé combats esthétiques et exigences sociales, évoquant à la fois Rabelais et Orwell, Molière et Hugo, pour rappeler que la scène reste un lieu de subversion. Les créateurs, comédiens et metteurs en scène ont livré plus qu’un spectacle : un coup de poing dans la vitrine de la morosité.
Le rideau tombe sur une nuit où l’art s’est fait poing levé, où les rires ont tremblé de colère et où l’émotion a trouvé refuge dans l’audace. Cette cavalcade théâtrale restera une invitation à ne jamais laisser la culture à la merci du silence.